N’OUBLIONS JAMAIS

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Baptisée Tempête («Oluja», en serbo-croate), la fulgurante attaque des troupes croates fut un triomphe le 04.08.1995. En moins de 100 heures, l’arc formé, du sud au nord, par la Lika, la Dalmatie septentrionale, la région de Kordun et la Banovine (une dizaine de milliers de km²), était conquis, nettoyé, moyennant des pertes raisonnables: 200 soldats croates tués et environ un millier de blessés sur 100 000 engagés.
Problème: cet acte de guerre aux apparences classiques se doubla, redisons l’expression, d’une véritable épuration ethnique et d’une flambée de violentes représailles antiserbes dans les jours et les semaines qui suivirent. Survolées et parfois mitraillées par les avions de l’armée croate, poussées sur les routes de l’exil par des chars dont les fanions à damiers rouge et blanc, rappelons-le, sont les mêmes que ceux des oustachis pronazis, qui, un demi-siècle plus tôt, s’étaient rendus coupables d’un génocide contre les Juifs, les Serbes et les Tziganes vivant dans l’ex-royaume de Yougoslavie, des dizaines de milliers de familles serbes durent abandonner en une nuit leurs maisons, leurs terres, leurs voisins, leur histoire – sans aucun espoir de retour. Des siècles de présence dans la région et de résistance à l’invasion ottomane gommés en quelques heures. Entassés sur des tracteurs, des charrettes, des camions pour les plus chanceux (les autres à pied, un maigre baluchon sur l’épaule), formant un embouteillage humain et mécanique de plusieurs centaines de kilomètres, ces 250 000 hommes, femmes, enfants et vieillards fuyant vers l’Est n’étaient pourtant pas, dans leur écrasante majorité, ces seigneurs de la guerre assoiffés de sang que décrivent complaisamment reporters et romanciers en manque d’émotions fortes. D’origine paysanne (la capitale de la République serbe de Krajina, Knin, comptait moins de 40 000 habitants!), désargentés, peu politisés, ils font partie des grandes victimes des «guerres de succession» de Yougoslavie (1991-1995).